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Nous avons lu… “The Inevitable: Understanding the 12 technological forces that will shape our future”, de Kevin Kelly (2016)

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Kevin Kelly a été l’un des fondateurs, puis le directeur exécutif du magazine Wired, spécialisé dans les questions technologiques et établi en Californie au début des années 1990. A ce titre, Kelly est un observateur privilégié de l’économie numérique et technologique californienne, dont il a suivi l’émergence. Proliférant et foisonnant, son dernier livre est utile car il donne une cartographie de sa vision du futur, c’est-à-dire tel qu’il est anticipé « de l’intérieur d’une partie de la Silicon Valley ». Son livre fait apparaitre, de façon pour partie involontaire, les fragilités de la situation actuelle.

Innovation et mutations sociales

1. Kelly décrit le monde de demain, en insistant sur les mutations sociales induites, par les évolutions technologiques. Les aspects sociaux occupent une part nettement plus importante que ce que le titre laisse entendre. Le monde de demain sera d’abord un monde où tout changera très rapidement et de plus en plus vite. Le cycle d’obsolescence des technologies s’accélérera. L’économie évoluera aussi d’un système de biens tangibles vers une économie de flux, de services à la demande, détachés de la notion de propriété physique. De plus, l’univers du livre laissera la place à celui de l’écran, induisant une opposition sociale, pratique et philosophique entre « le peuple du livre » et « le peuple de l’écran ». L’écrit deviendra interactif, toutes les surfaces deviendront des écrans, les écrans « observeront » autant qu’ils seront observés et adapteront les contenus, en fonction de l’état émotionnel et de l’attention de l’auditeur

2. Comme l’électricité en son temps, l’intelligence artificielle entrera dans tous les schémas de production et les fonctions de la vie quotidienne. L’efficacité de l’intelligence artificielle dépend d’effets de réseaux et induit une économie où quelques compagnies seulement, appuyée sur ces effets de réseau, domineront la société. L’économie sera hybride, associant une économie marchande à un vaste secteur d’économie collaborative et participative, permettant l’émergence d’un « nouveau type de socialisme », « sans l’Etat » et « sans idéologie ». La réalité virtuelle sera omniprésente à la fois à des fins économiques et pour les loisirs des individus. Les casques de réalité virtuelle s’accompagneront d’interfaces nouvelles entre le cerveau et la machine, par implantation de puces dans le cerveau.

3. L’enregistrement et l’exploitation des données, y compris personnelles, sera systématique et permanente : des données biologiques (« quantified self »), des objets connectés, mais aussi des images de nos vies. Les personnes seront connectées à des caméras qui enregistreront tout de leur vie quotidienne pour pouvoir pallier les faiblesses de la mémoire (« life logging »). Il deviendra aussi possible de contrôler les ordinateurs par la pensée. A terme, le monde deviendra une sorte de « super organisme » associant l’intelligence humaine et celle des machines, liant des milliards d’individus ainsi que tous les objets connectés, dans une « matrice globale ». Kelly évoque dans ce cadre la vision de Teilhard de Chardin.

4. Kelly embrasse les prémices de ce monde futur avec enthousiasme. Au centre de la vie de la Silicon Valley depuis longtemps, faisant partie des initiés, il a essayé ou essaie toutes les technologies nouvelles au moment de leur conception : les casques d’interface cerveau/machine, les nouveaux outils de réalités virtuelles, le « life logging », il accepte et aspire à une vie connectée de façon permanente où l’ordinateur devient un prolongement de la vie. Plus fondamentalement, Kelly met en avant certains principes intellectuels pour soutenir, sinon la nécessité, du moins l’inéluctabilité des évolutions en cours.

Une dynamique « irreversible »

5. Les évolutions actuelles seraient inévitables. Les populations auraient déjà choisi, elles nourrissent le système en mettant leurs vies en ligne, elles préfèrent le narcissisme (vanity) à leur intimité (privacy) et cela ne devrait pas évoluer d’après Kelly. De plus, pour être efficace, l’intelligence artificielle doit répéter et affiner la reconnaissance de paramètres. En conséquence, les effets de concentration s’accentueront et le monde technologique de demain sera dominé par quelques grandes firmes, cela ne va pas changer.

6. L’avenir appartiendra à ceux qui accepteront les évolutions en cours. Il sera possible d’encadrer ces évolutions, le cas échéant afin de les « domestiquer » par des nouvelles normes sociales, plutôt que par des règlementations. En revanche, ceux qui voudront interdire ces évolutions échoueront.

7. Selon Kelly, ce n’est que le début : les évolutions actuelles ne sont que des prémices, l’essentiel des bouleversements technologiques est à venir, les innovations qui vont bouleverser le monde ne sont pas encore connues, nous serions dans une époque historique enthousiasmante, la veille d’une grande « accélération de l’humanité par la technologie ». Kelly va plus loin : les principes moraux, les normes sociales devront évoluer pour accompagner ces mutations. La demande du respect de la vie privée serait, à certains égards, suspecte. En tout état de cause, la demande d’accès aux données personnelles devrait avoir pour corolaire un devoir de mettre toutes les données personnelles à disposition de façon transparente. Les demandes d’anonymat traduiraient « un refus de la responsabilité ».

La face sombre du progres

8. Kelly entrevoit aussi certaines facettes plus sombres du monde de demain. Ses contradictions et ses « angles morts » font aussi, progressivement (et involontairement) apparaitre les fragilités du monde inéluctable qu’il semble appeler de ses vœux, faute peut être de pouvoir le contrôler ou d’en imaginer un autre.

9. En premier lieu, Kelly souligne que le monde à venir sera plus dur psychologiquement. Les processus d’obsolescence accélérée des techniques seront très perturbants sur le plan psychologique, ils engendreront un sentiment de perte de contrôle, de déracinement, « personne ne pourra plus prétendre maîtriser la technique », elle évoluera trop vite. De plus, le monde de demain sera aussi celui de l’immédiateté, du « flux » par opposition à l’écrit et ou au livre « fixe », « l’immédiateté l’emportera sur la qualité ». Les vagues d’évolutions technologiques (nouveaux produits, nouveaux logiciels, nouvelles applications) se succèderont, sans pensée du sens et de la direction des évolutions technologiques. Nous vivrons dans un univers de court terme (« ceaseless present »). L’humanité entrera dans une crise identitaire. A quoi servirons-nous si les machines font mieux que nous y compris sur les fonctions intellectuelles ou la production artistique. L’évolution technologique posera la question existentielle essentielle : quels sont le destin et la spécificité de l’humanité ?

10. Par ailleurs, certaines descriptions de Kelly sont emplies de contradictions. Kelly décrit un monde de changements inévitables, mais sa description de l’émergence d’Internet souligne que personne n’avait prévu ce que deviendrait Internet. A ses débuts, Internet était conçu comme une connexion des réseaux à des fins militaires puis de recherche, le fonctionnement et l’infrastructure étaient assurés par la National Science Fondation, les utilisations commerciales étaient interdites jusqu’en 1991. La question des contenus était posée, mais personne n’imaginait que les individus fourniraient une partie substantielle des contenus. Internet aurait pu évoluer de façon différente, sur des segmentations régionales, son émergence s’est faite dans un moment historique de convergence idéologique favorable à la mondialisation des flux. Avec le recul, que penser d’un système où les infrastructures ont été conçues par des institutions publiques, où l’essentiel des contenus est fourni gratuitement par les individus connectés et qui engendre in fine une économie marchande concentrée de façon monopolistique au profit de quelques entreprises? Si les évolutions d’Internet étaient imprévisibles, pourquoi les autres évolutions devraient elles suivre une tendance « inévitable » ? Kelly répond que les tendances actuelles sont trop engagées pour connaître de retour en arrière et que si les modalités d’application peuvent encore varier, les tendances fondamentales ne changeront pas.

11. Centralisation ou décentralisation ? Au titre de ces contradictions, Kelly décrit aussi un monde décentralisé, puis insiste sur le fait que l’économie et l’intelligence artificielle seront dominées par quelques très grandes entreprises marchandes. Il met l’accent sur un monde des savoirs infinis, mais tellement vaste et profond que le choix, sur ce qui nous sera accessible, sera fait par la machine (« recommandation engine »). Il met en lumière les contours d’un monde participatif et social puis reconnaît que les contenus mis en ligne par les individus traduisent surtout un nouveau narcissisme numérique, très différent d’une participation effective à la vie collective. Il insiste d’ailleurs sur le fait que ce qui aura le plus de valeur dans le monde de demain, seront les « vraies expériences humaines, de partage, de communication ».

Commentaire : Les réflexions de Kelly ont des angles morts et les sujets qu’il effleure sans les traiter, mettent aussi en lumière les faiblesses de la situation actuelle :

Ainsi, comme d’autres dans la Silicon Valley, Kelly décrit les emplois qui disparaîtront mais il ne décrit pas, sauf de façon vague et générale, ceux qui pourraient émerger. Au détour d’une phrase, il estime aussi que le futur sera un monde inégalitaire où les riches auront un « accès premium » aux réseaux, sans en tirer des conclusions pratiques ou politiques. Son monde est aussi un monde de la connexion permanente du lever au coucher. Cette connexion deviendra-t-elle obligatoire, par la pression collective ou économique ? Comment seront considérés ceux qui refuseront la connexion permanente? Comment préserver des moments de calme et de répit, sans interface avec un écran ou une interaction virtuelle ? Quelle sera la liberté de l’individu dans un monde assimilé à un « super organisme » ?

Kelly souligne la probabilité de mouvements de rejet des évolutions technologiques, sans vraiment s’y attarder. De ce point de vue, son livre est « en retard » –le « comble » pour un livre sur le futur- par rapport aux livres récents d’autres observateurs privilégiés de la Silicon Valley, qui abordent frontalement la question des choix conceptuels et politiques, qui devraient selon eux accompagner et guider les évolutions technologiques (cf. Tim O’Reilly).


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